Les histoires et les anecdotes sont un indicateur “doux” de la culture

Dans sa tribune mensuelle pour #ZigZagHR, Nathalie Arteel nous explique comment l’appréciation peut fonder une culture d’entreprise positive et contribuer au bonheur individuel. Cette fois-ci, l’experte en appréciation s’est levée de bonne heure pour un entretien Teams avec l’autre bout du monde. Son interlocuteur ? Frederik Anseel, professeur de management à l’université de New South Wales de Sydney, en Australie. Ils ont parlé d’appréciation, de culture organisationnelle et de rituels.

« Il est difficile d’être pessimiste ou déprimé quand on se réveille tous les jours face à l’océan, sous un ciel bleu et un soleil éclatant. Ce décor a une influence certaine sur nos sentiments », note Frederik Anseel à propos de son séjour en Australie.
Mais le ciel du lieu de travail, lui, n’est pas toujours bleu. « Si vous avez l’impression que vos efforts au travail ne sont ni vus ni reconnus, vous aurez du mal à sortir du lit le matin », écrivait Frederik Anseel en 2022, dans un édito pour le quotidien De Tijd. Or, le sentiment de compter pour les autres est constitutif de notre identité, touche au cœur même de notre être.

Culture

Nathalie Arteel : « Ce qui me motive, c’est d’aider les gens à se sentir valorisés, et d’ancrer cette appréciation dans la culture organisationnelle. Quelle est votre opinion à ce sujet ? Quelle est, pour vous, la base d’une bonne culture d’entreprise ? »

Frederik Anseel « Je ne pense pas qu’il y ait une recette toute faite. Pour moi, la culture découle indirectement des actions qu’on entreprend. La culture est un jeu complexe de plusieurs facteurs intangibles. Elle est insaisissable. »

« Je suis toujours parti de la question suivante : comment créer de la structure d’une façon à la fois authentique et crédible ? Je suis très sensible à l’authenticité et à la profondeur et, inversement, aux démarches qui relèvent du processus, de l’application d’une technique ou d’une recette. Il faut agir avec sincérité, car les gens s’en rendent très vite compte et c’est, à mon avis, inestimable. Mais ce que j’observe souvent, c’est que la direction définit la culture et les valeurs en s’imaginant qu’elles circuleront dans l’entreprise et seront adoptées sans réserve. L’idée que chacun doit défendre les mêmes valeurs est dogmatique et paternaliste. »

« Je suis un partisan (et mes recherches portent souvent sur ce sujet) de la liberté et de l’autonomie, et de la création d’une structure qui favorise cette liberté et cette autonomie au sein d’un ensemble plus vaste. Autant dire que, pour moi, la réussite d’une culture ne se vérifie qu’après coup. »

Nathalie Arteel : « Par où commencer pour bâtir une culture d’entreprise ? »

« Je suis un partisan (et mes recherches portent souvent sur ce sujet) de la liberté et de l’autonomie, et de la création d’une structure qui favorise cette liberté et cette autonomie au sein d’un ensemble plus vaste. Autant dire que, pour moi, la réussite d’une culture ne se vérifie qu’après coup. »

Nathalie Arteel : « Par où commencer pour bâtir une culture d’entreprise ? »

Frederik Anseel :  « Je ne sais pas s’il y a un vrai point de départ. À mon avis, il s’agit avant tout d’accorder plus d’attention aux profils embauchés, et aux potentiels effets négatifs et positifs du recrutement. Quand on voit toute l’attention, l’analyse et les finances qui sont injectées dans l’achat d’un nouveau bâtiment, alors que la carrière longue d’un collaborateur demande un investissement comparable, et que cette décision est souvent prise de manière purement intuitive…

Je crois que les personnes capables cherchent des personnes capables, et que les talents attirent les talents. Voilà la base. Et ensuite, la question est de savoir quels comportements individuels vous allez soit combattre, soit reconnaître, mettre en valeur et récompenser. »

Histoires et anecdotes

Nathalie Arteel : « Mais alors, qu’est-ce qui fonctionne selon vous ? »

Frederik Anseel : « Les récits et les anecdotes sur les événements (tant positifs que négatifs) au sein de l’organisation. Les raisons pour lesquelles un collaborateur est érigé en modèle pour l’entreprise, par exemple. Ces histoires, qu’elles soient positives ou négatives, se racontent toutes seules et se transmettent par la répétition.
Dans les cultures et les contextes toxiques, elles prennent une forme particulière. Au bout de six mois, des mises en garde se mettent à circuler : « Attention à celui/celle-là, j’ai entendu ceci et cela… » Ce sont des ragots, bien sûr, mais ce sont eux qui définissent ce qu’il se passe dans l’organisation. Ces histoires et anecdotes – les négatives et, plus encore, les positives – sont un indicateur “doux” de la culture.

Le souci – et c’est un problème que je soulève souvent avec les cadres –, c’est que les managers sont souvent mal informés de ce qui se passe et se raconte sur le lieu de travail. Les informations qui leur parviennent sont déjà filtrées.
Résultat : de nombreux managers s’appuient sur des informations incomplètes. Ils pensent que la culture est bonne et que tout fonctionne, alors que le mécontentement, la frustration et les conflits grondent à leur insu. Cette méconnaissance est parfois due à leur attitude : certains managers préfèrent se voiler la face et faire la sourde oreille. Les collaborateurs se disent alors qu’il ne vaut pas la peine de les mettre au fait.

À mon avis, les organisations ont intérêt à mieux soutenir le management intermédiaire, puisque beaucoup – voire tout – dépend de la relation que les managers nouent avec leurs équipes. J’estime que c’est faire un beau cadeau aux managers, que de leur laisser le temps et la liberté d’être plus conscients et plus à l’écoute de leurs collaborateurs. Pour moi, l’attention est un aspect essentiel de l’appréciation : “je te vois, je t’entends, je me libère pour toi”. Cela profite au collaborateur, au manager et à leur relation. »

Rituels

Nathalie Arteel : « Quel est le rôle des rituels selon vous ? Quels sont les rituels à mettre en place par les entreprises pour mieux intégrer l’appréciation dans la culture ? »

Frederik Anseel : « Les rituels sont très intéressants. On parle de rituel lorsqu’un groupe accomplit des actes depuis un certain temps, sans plus les remettre en question. Le rituel crée un sens collectif et partagé. Mais je pense qu’il est difficile d’introduire des rituels. L’impression d’artificialité de la démarche risque d’empêcher l’adhésion du groupe.

Les rituels doivent être associés à des événements marquants. La naissance, le baptême, la première communion, la communion solennelle, le mariage et l’enterrement étaient des moments importants que l’Église entourait de rituels. Ces rites donnaient du sens – un sens que beaucoup cherchent désormais ailleurs, par d’autres biais, et cela vaut également au sein des organisations. Aujourd’hui, par exemple, il nous manque un rituel pour marquer le départ d’un collaborateur. »

« Il me semble inutile d’inventer un rituel pour se retrouver chaque vendredi autour d’un thé ou d’un café. L’impact en serait limité. Je parle ici de faits marquants, qui ont une charge décisive et disruptive. Si vous arrivez à associer ces moments à un événement porteur de sens collectif, vous réaliserez quelque chose de vraiment précieux. »

Inscrivez-vous aujourd'hui, comme 10 408 professionnels l'ont fait avant vous. Je vous promets que vous ne recevrez pas plus de deux e-mails par mois avec ma sélection personnelle de précieux conseils, idées et cas pour vous aider à créer une culture d'appréciation.

news-sign-up-image