Valoriser pour réussir : attention au potentiel destructeur de la récompense.

Ce mois-ci, Nathalie Arteel a eu un entretien passionnant avec Xavier Baeten, professeur en Reward Management & Sustainability à la Vlerick Business School. Référence européenne en matière de management appréciatif, Xavier Baeten met son expérience académique au service des entreprises en développant des stratégies de récompense et en siégeant dans des comités de rémunération. En sa qualité de Culture & High Performance Expert, Nathalie Arteel l’a interrogé sur les évolutions au sein des systèmes d’appréciation et de récompense.

Quand je regarde ces 20 dernières années, je constate que le gouvernement et la plupart des entreprises ont largement misé sur les récompenses financières : enveloppes de rémunération et d’avantages sociaux, plans cafétéria, avantages financiers, primes et chèques de tout genre. Mais y a-t-il un lien direct entre récompense et engagement ? C’est sur cette question que Nathalie Arteel a ouvert son entretien avec Xavier Baeten.

Récompense financière versus non financière

Xavier Baeten : « Je ne voudrais pas qu’on tombe dans une dichotomie entre récompenses financières et non financières. Cela étant, je peux dire que ce sont les récompenses non financières qui stimulent l’engagement. Je peux démontrer que, dans les motifs de démission ou dans les intentions de départ, l’argent ne tient pas le haut du pavé. Au premier rang figure l’enveloppe globale des récompenses, telle qu’elle est perçue par l’employé.

Pour moi, l’essentiel est là : il s’agit de garantir une rémunération financière équitable et de faire la différence en y associant des récompenses non financières.

Parmi ces récompenses non financières, ce sont la reconnaissance, la réputation de l’entreprise et le management participatif qui se démarquent. Je trouve qu’on accorde encore trop peu d’importance au management participatif, même si le “stakeholder engagement” (l’engagement des parties prenantes) a le vent en poupe. Je crois en une culture de la reconnaissance, et je ne pense pas que les entreprises très hiérarchisées, à la structure descendante, puissent vraiment garantir cette reconnaissance et cette participation.

Certaines organisations ont développé une approche purement mathématique de la récompense. Mais cela ne fonctionne pas. Comparez-le à un enfant qui apprend à aller sur le pot. En tant que parent, vous n’allez pas en faire un objectif qui déterminera si, en fin d’année, l’enfant méritera un cadeau ou une prime. Non, vous récompensez l’enfant dès qu’il y arrive.

Oui, c’est aussi simple que cela : il suffit de se référer à la pratique éducative pour avoir la réponse. Je sais que l’appréciation des récompenses non financières n’a rien d’évident. Mais il me semble dangereux de tout baser sur les récompenses financières. J’y vois aussi un risque d’augmentation des burnouts. Il nous faut donc envisager la problématique d’un autre point de vue : dans quelle mesure allons-nous devoir changer d’approche à l’avenir ? Une grande partie de la réponse consistera à redonner du sens au travail. »

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Récompense collective versus individuelle

Nathalie Arteel : « Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à développer une politique d’appréciation stratégique. De mon côté, je vois un nombre croissant d’organisations qui cherchent des moyens de récompenser immédiatement les attitudes positives. Elles ont du mal avec la trop grande priorité donnée aux primes collectives : cela finit par démotiver les employés qui font preuve d’un engagement exceptionnel. Résultat : ces personnes partent en quête d’un nouveau défi ou se retranchent dans une “cage dorée”. Quelle est votre expérience sur ce sujet ? »

Xavier Baeten : « Nous devons être conscients du potentiel destructeur de la récompense. Prenons le système de l’augmentation au mérite. On vous attribue une note de 1 à 5, on vérifie le positionnement dans votre bande de salaire et on vous augmente en conséquence. Cela peut sembler objectif, mais l’attribution d’une note a toujours un côté subjectif. Ainsi, pour beaucoup de managers, devoir choisir entre une bonne ou une très bonne appréciation est un vrai cauchemar.

Je suis favorable à la récompense collective, à condition de l’associer à une reconnaissance individuelle. Mais attention à ne pas exagérer la reconnaissance individuelle financière : si vous recevez un bonus trois fois supérieur au mien, je serai complètement démotivé et je décrocherai.

Selon moi, nous détruisons de nombreux systèmes de récompense en ramenant tout à l’individu. Or, il importe de pouvoir récompenser au niveau de l’équipe. Ce type d’approche demande de la créativité. Nous devons oser impliquer les employés dans l’élaboration de la politique.

Faites également confiance au jugement des supérieurs hiérarchiques, donnez-leur des repères. Un exemple : chez ABN AMRO aux Pays-Bas, on leur demande d’examiner trois points.

  • D'abord, le comportement : est-il conforme aux responsabilités et aide-t-il l’équipe à progresser ?
  • Ensuite : cette personne développe-t-elle ses compétences, se forme-t-elle ?
  • Et enfin, la vitalité : cette personne a-t-elle de l’énergie et sait-elle fixer ses priorités ? À partir de là, on demande d’émettre une évaluation étayée de faits concrets.

Autant dire qu’on est loin des indicateurs purement mathématiques. »

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Liberté et responsabilité

Nathalie Arteel : « Voyez-vous d’autres possibilités d’aller au-delà de la récompense purement financière et d’apporter une reconnaissance individuelle ? »

Xavier Baeten : « Tout l’art est de parvenir à des systèmes de reconnaissance articulés autour de responsabilités et de degrés de liberté – et avec un élément de surprise. Cet élément de surprise fait trop souvent défaut dans les récompenses. Soyons honnêtes, il y a tellement plus de positif que de négatif à mettre en lumière dans les comportements humains. Mais encore faut-il que le supérieur le voie et le ressente : “ceci est un jalon important et nous allons le marquer, par un geste de reconnaissance ou une récompense”.

Je sais d’expérience que, dès que vous créez ce genre de culture, il vous sera aussi plus facile d’apporter une note critique. Vos critiques seront mieux acceptées. Si les gens n’ont jamais droit à un compliment mais se font toujours critiquer, ils réagiront en se mettant systématiquement sur la défensive.

Au niveau de la rémunération et des avantages sociaux, on reste trop attaché à l’évaluation quantitative, ce qui a tendance à pousser les gens dans leurs retranchements. Pour moi, la question la plus intéressante lors d’un entretien d’évaluation est celle-ci : “qu’est-ce qui n’a pas très bien marché ?” Voilà une question instructive. »

Un management de la récompense durable

Nathalie Arteel : « Dans le management de la récompense, les “responsible rewards” ou récompenses responsables gagnent en popularité. Les employés reçoivent des chèques-cadeaux leur permettant d’agir pour une bonne cause, de soutenir un entrepreneur local ou d’entretenir leur santé. Quelles évolutions voyez-vous dans ce domaine ? »

Xavier Baeten : « Le concept des “responsible rewards” est nouveau et on le découvre à peine. Mais pour moi, il doit faire partie d’un tout. Ce petit fragment philanthropique, il faut l’inscrire dans une perspective stratégique.

Posez-vous donc la question : quel est notre business et quel impact pouvons-nous exercer dans ce domaine ?

La durabilité figure déjà à l’agenda de nombreuses entreprises. Au sein du Centre for Excellence in Strategic Rewards, nous nous sommes demandé comment l’appliquer aux récompenses. En étudiant les objectifs de développement durable des Nations Unies, nous avons constaté qu’il y a pas moins de neuf objectifs (sur 17) qui ont un lien étroit avec la récompense. C’est extrêmement puissant. Mais pour une organisation, la plus grande erreur serait de mettre tous ses œufs dans le même panier.

Voici donc mon conseil : impliquez vos employés et réfléchissez ensemble à ce dans quoi vous voulez investir.

Une banque, un détaillant ou une société de transport n’auront pas les mêmes réponses. Ensuite, la question sera bien sûr de savoir comment le traduire en actes au niveau de l’entreprise. Mais attention à ne pas créer une culture qui stigmatise les collaborateurs qui n’optent pas pour la bonne cause, et culpabilise ceux qui font un choix pour eux-mêmes… »

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